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Pas de démocratie sans liberté d’expression

Dans son opus consacré à la politique —dans lequel elle rappelle que la politique est pour Aristote une aspiration singulière que ressentent les Grecs à vivre au sein d’une cité, et que l’organisation de cette polis représente selon eux la plus haute forme de la communauté humaine— Hannah Arendt souligne que ce qui distinguait la communauté humaine dans la polis de toutes les autres formes de communautés humaines était la notion de liberté. Encore faut-il s’entendre sur ce que les Grecs considéraient être la liberté. Dans nos sociétés modernes, celle-ci est majoritairement comprise comme un attribut positif : un ensemble de droits, ce que l’on peut faire. C’est une notion connexe de celle de pouvoir. Dans l’Antiquité grecque, et dans la pensée d’Aristote, la liberté était conçue à la fois comme étant d’essence négative (ne pas être gouverné, ne pas gouverner) et positive comme un espace qui devait être construit par la pluralité, dans lequel chacun se mouvait parmi ses pairs, et qui ouvrait le champ des possibles. C’est en ce sens qu’être libre et vivre dans une polis était pour eux une seule et même chose. De la même façon, le souverain qui domine d’autres hommes, et qui de ce fait même en diffère, n’est pas libre au sens de la conception grecque du concept. La liberté grecque nécessite fondamentalement la présence et l’interaction de l’autre: c’est une co-construction. La philosophe insiste également sur la bonne compréhension du terme isonomia (qui se confond avec l’isegoria). L’isonomia ne signifie pas que nous soyons tous égaux devant la loi (comme c’est le présupposé de nos démocraties modernes) ni même que la loi soit la même pour tous. Simplement que tous les citoyens peuvent participer à l’activité politique de la même façon quelles que soient leurs distinctions par ailleurs (faisant ainsi naître un plus petit dénominateur commun d’égalité, qui permît d’influer sur la question la plus universelle: celle de la vie en commun), cette activité politique consistant principalement au sein de la polis en un échange oral de pensées visant à l’organisation et l’amélioration de la vie partagée. En corollaire, cette parole libre était déniée aux non-citoyens : femmes, métèques⁠1, barbares. Ils étaient considérés comme « aneu logou » c’est à dire que le droit à la parole « qui compte », la parole libre et agissante, leur était dénié, ajoutant ainsi par son exclusivité au prestige et à la désirabilité de l’isegoria. Ce qui est crucial pour cette liberté politique des Grecs, c’est sa consubstantialité à un espace géographique déterminé. Celui qui laissait derrière lui les murailles de la cité, ou en était banni, perdait du même coup le seul espace parmi le vaste monde où il pouvait être libre. Vertige.

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Ce détour de notre réflexion par la Grèce antique, en suivant un court instant la pensée d’Hannah Arendt illustre l’importance fondamentale que revêt pour la démocratie la liberté de parole, puisque pour les Grecs être libre c’est précisément pouvoir exercer cette parole libre au sein d’une communauté d’hommes eux-mêmes libérés des contingences, dans un espace géographique singulier propice et nécessaire à l’établissement des conditions de cette liberté.

Or cette liberté de parole (transmise des Grecs aux révolutionnaires puis aux parlementaires modernes), si nécessaire à l’exercice démocratique, permettant de rechercher au travers de la discursivité la vérité et le bien, n’interdit pas d’évoquer (de bonne ou de mauvaise foi peu importe) des arguments parfois erronés. Elle invite au contraire à débattre de l’ensemble des arguments quels qu’ils soient pour faire émerger les solutions les meilleures pour la collectivité, étant entendu qu’un éventail large de sensibilités et d’opinions est plus de nature à favoriser l’émergence de ce que l’on pourrait qualifier d’homéostasie démocratique, qu’un échantillon restreint de représentants qui seraient chargés de décider pour la collectivité ce qui est le vrai et ce qui est le faux. Cet échantillon restreint posant plusieurs problèmes : le premier d’entre eux étant sa faillibilité (aussi sages et experts en soient les membres qui le composent, ils n’en sont pas moins hommes, et de ce fait faillibles et pouvant être soumis à des biais cognitifs), mais également le risque qu’il n’oriente les décisions en sa faveur, et que ses intérêts divergent de ceux du peuple. Par ailleurs les notions de vrai et de faux en ce qui concerne les nouvelles sont parfois pour le moins labiles. L’histoire regorge de nouvelles initialement démenties qui se sont avérées par la suite vraies (pensons par exemple à Pearl Harbor⁠2, ou encore au nuage de Tchernobyl⁠3 et à son arrêt ou non à la frontière française).

De notre réflexion résulte le fait que la liberté d’expression ne peut être que pleine et totale. D’autant plus que c’est le socle même de l’élaboration et de l’exercice de la démocratie. À bien y réfléchir, il n’existe que deux façons de la limiter. La première est d’en assujettir l’exercice à des restrictions du domaine de l’usage (ce que tentent par exemple de faire la « bien-pensance »). La seconde de la borner par des lois pénales. Examinons en accompagnant la pensée de Robespierre les justifications de ces éventuelles limites que l’on poserait à l’exercice de la liberté d’expression.

Priver un homme des moyens que la nature et l’art ont mis en son pouvoir de communiquer ses sentiments et ses idées, pour empêcher qu’il n’en fasse, peut-être, un mauvais usage, ou bien enchaîner sa langue de peur qu’il ne calomnie, ou lier son bras de peur qu’il ne le tourne contre ses semblables, tout le monde voit que ce sont là des absurdités disproportionnées et contraires au principe du droit (les lois sont faites pour assurer aux hommes le libre développement de leurs facultés pour autant que celles-ci ne nuisent pas à autrui, et réprime un abus à partir du moment où il se produit), que cette méthode est tout simplement une forme de despotisme. La bien-pensance s’apparente donc à un déni de démocratie, et un abus de droit. De ce fait, il semble que les limites que l’on poserait par ce biais soient abusives (et difficiles à faire respecter). Réfléchissons maintenant à la restriction de la liberté d’expression par l’établissement de lois pénales.

Peut-on établir des peines contre ce que l’on qualifierait d’abus de liberté d’expression (ce que l’on qualifie de nos jours de fake news) ? Comment caractériser ces abus ? La liberté d’expression peut s’exercer sur deux objets : les choses et les personnes. Le premier de ces objets contient tout ce qui touche aux plus grands intérêts de l’homme et de la société : éthique, législation, religion, politique, science… Or les lois ne peuvent jamais punir aucun homme pour avoir manifesté ses opinions sur toutes ces choses: c’est à la fois son droit et son devoir dans le cadre d’une démocratie. C’est par la libre et réciproque communication de ses pensées que l’homme perfectionne ses facultés, s’éclaire sur ses droits, façonne son opinion, exerce son pouvoir démocratique. Chaque homme est singulier dans l’élaboration de ses opinions, dans les capacités qui lui sont échues pour ce faire, dans son parcours de vie, dans son milieu qui peut influer en partie sur sa réflexion. L’exercice de la liberté d’expression implique donc nécessairement la liberté de publier des opinions contraires. Ou alors il faudrait trouver le moyen de faire que la vérité pure sorte en tout temps casquée et bottée de l’esprit de chaque homme. Or c’est un fait que la vérité émerge le plus souvent de la confrontation de toutes les idées, vraies ou fausses, absurdes ou raisonnables. Le processus même de cognition est discriminant, il s’exerce par comparaison, par différenciation, par confrontation avec les faits. Vouloir imposer des limites légales à la liberté d’expression (même avec pour seule volonté louable de favoriser l’expression de la vérité) se heurte à la question suivante : qui départagera l’erreur de la vérité ? Si ceux qui font les lois, ou ceux qui les appliquent étaient une caste d’êtres d’une intelligence supérieure à l’intelligence humaine, il pourrait en effet exercer cet empire sur les pensées. Mais s’ils ne sont que des hommes, alors ils sont autant exposés à l’erreur que le reste de leurs concitoyens.

Par ailleurs, c’est un principe incontestable que la loi ne peut infliger aucune peine là où il ne peut y avoir un délit susceptible d’être caractérisé avec précision et reconnu avec certitude. Sinon c’est exposer chaque citoyen aux jugements arbitraires. S’il est relativement simple de définir et constater une infraction criminelle (il y a eu, ou il n’y a pas eu meurtre), caractériser le caractère bon ou mauvais d’une opinion est terriblement malaisé : entrent en ligne de compte des rapports plus ou moins compliqués avec les principes de raison, de justice, une foule de circonstances particulières. Que serait par exemple un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ? Ce sont ici des dénonciations vagues, des arguments et des décisions arbitraires. L’un trouvera le crime dans la chose, l’autre dans l’intention de la déclaration, un troisième dans le style… Il deviendra aisé de méconnaître la vérité pour des raisons idéologiques, voire de la condamner en connaissance de cause.

Enfin, poser des limites légales à la liberté d’expression expose à une problématique épineuse : que se passerait-il si la vérité devenait d’une façon ou d’une autre contraire à l’état actuel du droit ?

Par exemple, les hommes de génie qui ont révélé de grandes vérités à leurs semblables ont souvent devancé l’opinion de leur siècle. La radicale nouveauté de leurs conceptions s’est souvent heurtée à l’incompréhension, l’ignorance et la condamnation⁠4 de leurs contemporains. Ils ont, et l’histoire regorge d’exemples, souvent été en butte à de violentes attaques des autorités morales et de l’opinion publique de leur temps, motivées autant par les préjugés que par l’envie. C’est le tamis du temps, et non la loi changeante des hommes, qui a séparé l’erreur de la vérité.

Une autre justification, avancée par les affidés En Marche afin de restreindre la liberté d’expression consiste à réclamer une loi contre des écrits qui auraient provoqué un délit (par exemple dans le cas des gilets jaunes une émeute dont Eric Drouet et Maxime Nicolle seraient responsables selon le ministre de l’intérieur Christophe Castaner). 

Monsieur Drouet et monsieur Nicolle encouragent et alimentent...

Mais d’une part il est facile pour le pouvoir de rapporter une émeute à un écrit qui n’en serait pas responsable (comment attribuer la responsabilité d’événements qui se sont déroulés en un temps postérieur à la date d’un écrit à celui-ci ?), d’autre part ce n’est pas l’écrit en lui-même qui est responsable du délit ou du crime, mais un ou des hommes qui l’ont matérialisé en se rendant responsables de leur propre chef d’une émeute ou d’autres délits ou crimes. Or des lois existent déjà pour prévenir, ou à tout le moins punir les responsables dans ce cas de figure. L’auteur lui-même de l’écrit, soit n’a pas participé au crime et n’en est donc pas comptable sauf à lui prêter le pouvoir de contrôler la volonté d’autres hommes sans relation avec lui, soit y a participé et est alors déjà condamnable du fait des lois pénales existantes. Créer un délit d’opinion est donc une réponse qui paraît non seulement inadaptée, mais bien plus totalement disproportionné et attentatoire à l’intérêt général, et ne bénéficie qu’à un pouvoir dont il renforce la capacité à contrôler les idées.

1 Un métèque était un étranger qui souhaitait se faire naturaliser citoyen, et devait dans un premier temps prouver sa volonté d’intégrer la communauté des citoyens (par exemple en participant à la guerre, tout en étant privé de droits civiques).

2 Pearl Harbor, the fake news that pushed us into WWII. https://nypost.com/2019/10/02/the-fake-news-that-pushed-us-into-world-war-ii/

3 https://www.nouvelobs.com/planete/20110907.OBS9926/tchernobyl-quand-le-nuage-s-est-presque-arrete-a-la-frontiere.html

4 Procès de Galilée https://www.universalis.fr/encyclopedie/proces-de-galilee/

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